Les Nonnes Troppo
Cest omment jouer
de l'accordéon comme d'un piano, assis(es) !
Sous-titrée "et Dieu invente
l'accordéon et la Roumanie"
cette photo qui illustre la pochette intérieure de l'album Conférence Publique
n'a pas été prise le 8 oct 95 lors de l'enregistrement comme l'indique la légende,
mais un peu plus tard au Sentier des Halles.
Apparues dans les faubourgs parisiens en 1986 les soeurs Troppo
sont un trio de choc dans l'univers d'un rock français en pleine effervescence
alternative.
Elles raniment l'auréole bien gondolée d'une chanson de cabaret à la fois cynique,
drôle et poétique, figé dans une autre époque. Entre une Soeur Sourire un peu
godiche,
la truculence d'un Ricet Barrier ou la pudeur naïve d'un Bourvil.
Pas loin des chansons de Prévert aussi, l'univers des Nonnes est à la fois simple,
beau et cruel comme la vie. Musicalement nos soeurs s'approvisionnent à toutes
les sauces :
flamenco, reggae, chanson réaliste, rock, jazz, tzigane, blues, ragga, samba...
avec pour seuls outils les instruments rudimentaires de leur confection :
contrebassine, carton et balais à vaisselle, piano jouet, guitare sèche ou accordéon.
Un minimalisme forcené qui procure intimisme et convivialité
dans un monde croulant sous les effets. En mission musicale commanditée
par un drôle de bon dieu à l'accent de "sans papiers",
elles sillonnent le monde dans une 2CV imaginaire.
En fait c'est une DS break ambulance
qui servira pour une première tournée
du trio en visite dans les contrées de la France profonde,
jouant sur les places contre quelque aumône.
C'est Polo des Satellites qui les branche sur Bondage en pleine diversification
artistique post Béru (Endimanchés, PPI).
Le double album La Mission sort en 88, enregistré en public illustré
entre autre par une photo de Doisneau. Hilarants et caustiques,
ces frères Jacques en collerettes dépeignent un monde sans pitié,
ou les nains de jardin explosent dans les villas (trop) piégées,
les chauffards se tirent la bourre jusqu'au paradis, les moustiques ibériques
seraient à l'origine du flamenco, et ou un jeune trisomique
nous laisse entre rires et larmes en parlant de sa Corinne en pâte à modeler
!
Très fort.
Mais le temps que la réputation
s'installe et les Nonnes se défroquent en VRP (89),
avec l'ajout deux nouvelles recrues dont un ancien punk breton issu des Collabos.
Dans un registre plus festif ces drôles de camelots conquièrent un public rock
avec 3 albums riches en mésaventures savoureuses et en cruauté exemplaire
(à voir en images dans la vidéo de Vacances prolongées), avant de jeter leurs
instruments à la foule lors d'un ultime concert à l'État du Rock à Montpellier
en 1993.
L'histoire aurait pu s'arrêter
là. Mais en ces temps d'expulsions
ou "Paris s'en va crever d'ennui" comme le chante la Mano,
c'est en soutien au DAL (Droit au Logement) qu'est réédité en CD (et vidéo)
l'album devenu rare des 3 Nonnes. Sous emballage carton kraft certifié "fabriqué
au Couvent"
tel un produit du "P'tit business du marché Catholique"! Renfilant leurs robes,
sandales et bonne humeur tonique, Néry, Cyril et Laurent reprennent la prêche
pour une visite du Couvent : nouvel album (studio !) toujours chez Bond Age
en 95.
Seize chansons (plus la visite !) et des rencontres avec les Pires, Marcel Kanche
ou Arnaud Métivier.
Des innovations techniques (rétroprojecteur, casio, éclairage... )
leur permettent d'entamer une nouvelle mission d'évangélisation
des esprits dans une totale maîtrise du discours, sur le thème des saisons.
Une observation méticuleuse et sensible de nos concitoyens qui arrache rires,
soupirs et fait ravaler quelques idées reçues. Des caricatures (à peine),
pleines de frissons, d'un absurde qui rejoint la réalité toute cru.
Le vélo aborde l'homosexualité, à moins que ce ne soit les rêves
du Déménageur se voyant Étoile à Rio, ou celle d'Une graine
qui évoque autant la destiné que les ravages du Sida.
Et Souvenir de Femme est tout une histoire avec des mots en S.D.F.!
Des thèmes difficiles traités avec pudeur et respect.
Le public ne s'y trompe pas, bien plus attentif qu'à la messe,
il établi une complicité propice aux états de grâces, multiples rappels
pour un tour d'horizon qui du traditionnel Yiddish à l'adaptation
à se pisser dessus du You really got me des Kinks, fait des Nonnes
un "petit miracle" dans l'océan de médiocrité d'une chanson française bien trop
frileuse.
Le troisième album immortalisera cette Conférence Publique :
78 mn à se caler en boucle comme un Best of des Deschiens.
Et puis les Nonnes ont de nouveau disparues. Jusqu'à quand ?
On a depuis croisé Néry, visage découvert, un double album sous le bras,
(dont quelques chansons co-signées d'ex-VRP ou Nonnes en y cherchant bien)
pour un panoramique plus coloré de son imaginaire poétique et loufoque.
Un artiste multiple, réalisateur de films d'animation, de clips, dessinateur,
à la manière d'un Couture, qui n'en a pas fini de nous surprendre.
Max Well .................................................................................................................................